Bourgogne

De la Franche-Comté, passons à la Bourgogne qui est peut-être une des provinces les plus variée de France. En effet, il y a de sensibles différences, tant sur le plan géologique qu’humain, entre les diverses parties de cette région.

Peu de choses en commun en effet entre la forêt du Pays d’Othe (Othe est d’ailleurs la déformation d’un mot celtique qualifiant « les bois »), les vallées pittoresques de l’Armançon dans le Châtillonais, le plateau de Langres au climat déjà continental, la Puisaye et le Nivernais aux reliefs modestes, le Charolais évoquant l’élevage dans des riches pâtures, ou les reliefs de l’Est dominant la Vallée de la Saône et dont les seuls noms ou appellations font saliver les œnologues: la Côte d’Or, le Mâconnais et le Beaujolais. Au centre se dressent, parfois jusqu’à neuf cents mètres d’altitude, les monts du Morvan. Là encore, l’étymologie celtique est expressive: c’est la Montagne Sombre qui mérite souvent son nom par sa parure de forêts où les résineux sont de plus en plus nombreux.

De tous ces pays bourguignons, je ne parlerai que de ceux que j’ai traversés en Patagon randonneur.

Mon premier contact fut pris dans l’Avalonnais, il y a bien longtemps, avec Paul-le-Toubib et Denise-la-Toubiba. En dépit, ou à cause de cet environnement médical, cette découverte du Bas-Morvan fut marquée par divers malheurs sanitaires me concernant: je me revois en fin de randonnée, près de Vézelay, sous la forme d’une loque humaine ravagée par les coliques.

Le Morvan m’en voulait sans doute, car quelques années plus tard, une randonnée hivernale avec Monique et François se déroula dans des conditions de santé à peine meilleures.

Il est à noter que, dans mes premières années de randonnées, j’ai eu plusieurs fois des malheurs digestifs en camping. Il en était de même de l’ami Jean et, ne pouvant expliquer ces malaises nous les avions au moins catalogués sous une appellation précise ce qui nous avait apporté une consolation indiscutable. Les premiers ennuis digestifs étant survenus lors d’une séance de pêche à la ligne, le mal mystérieux fut baptisé du nom de « vomito pescatori ».

Par la suite, revanche fut prise sur le Morvan au cours de plusieurs sorties parfaitement réussies qui me permirent de le parcourir dans toute sa beauté et sa sauvagerie.

Par la suite, avec Françoise, nous y fîmes plusieurs passages très agréables et nous avons maintenant d’excellents souvenirs communs de ce pays de petites montagnes. Entre autres, une randonnée se terminant au Lac des Settons accompagnés de notre fidèle ami à quatre pattes, le chien Dag qui adorait l’eau et ne se lassait pas de patauger à chaque occasion favorable et dieu sait que les ruisseaux ne manquent pas en Morvan!

Comment aussi ne pas évoquer cette très belle promenade avec les « cousins » Blier sur la Côte de Chaux dominant la Cure en aval de son confluent avec le Cousin. Après avoir longé la rivière, nous avions établi un camp magnifique sur la hauteur: en toute modestie, nous l’avions baptisé le Roi des Camps…

Non loin du même endroit, une vingtaine d’années plus tard au cours d’une sortie pédestre en solitaire, je montai ma tente au-dessus de l’antique camp romain de Cora, à côté de Voutenay-sur-Cure face à un paysage à vous couper le souffle: comme quoi il est bien difficile de donner un classement des camps par rapport à la beauté de chacun!

Un souvenir nautique de la région est aussi la descente de la Cure en canoë avec ma Françoise et Roland. Nous nous étions embarqués à Saint Père sous Vézelay et la croisière nous valu des paysages magnifiques. Par contre, ce ne fut pas un voyage de tout repos et j’entends encore dans mon oreille les craquements sinistres d’un des deux canoës coincé par le courant entre deux rochers!

C’est au cours de cette croisière que nous avons fait une de nos nombreuses visites à Vézelay. Ce haut-lieu de Bourgogne est un endroit magnifique « où souffle l’esprit » comme le précisent les guides touristiques. Hélas, comme beaucoup d’endroits trop touristiques, l’esprit qui y souffle est beaucoup moins l’esprit saint que l’esprit commercial… Mais on ne peut pas passer son temps à chasser les marchands du temple!  Il faut donc passer sur cet aspect mercantile et admirer, sans trop d’arrières pensées, les vieilles rues montant vers la basilique romane où, sans grand effort d’imagination, on voit bien au travers des siècles, la foule des pèlerins montant vers la maison de Dieu.

À Vézelay, il ne faut pas manquer de contempler le panorama de la terrasse située derrière l’église et qui vous révèle un site magnifique sur la Vallée de la Cure et l’écrin des collines qui l’entourent: j’y ai réalisé quelques arrêts casse-croûte somptueux!

Au sud du Morvan, le Mont Beuvray, où subsistent d’imprécis vestiges de l’antique Bibracte qui fut la capitale des Eduens, se trouve un belvédère où rôdent les ombres des druides de jadis. On y trouve d’ailleurs un monument dédié aux « vergobrets » sortes de sages constituant une sorte de résurgence moderne du druidisme.

Quant aux Eduens, personne n’en a parlé mieux qu’Henri Vincennot, ce romancier bourguignon qui, dans ses écrits, a su faire survivre à travers les âges et de façon très vivace et poétique la mentalité de ces Celtes fameux.

Du sommet du Mont Beuvray la vue est immense vers le sud et l’est: les bons auteurs vous diront que certains jours on peut apercevoir le Mont Blanc faisant signe du fond de la Savoie! Sans prendre position sur ce point précis, je dirai seulement que l’on peut, plus habituellement, admirer le site d’Autun qui, à proximité, se prélasse dans la plaine suffisamment à l’aise pour y étaler ses nombreux vestiges gallo-romains.

J’ai fait un camp magnifique au sommet du Beuvray où j’ai passé une veillée délicieuse certain soir d’été alors que la nuit, longue à venir à cette époque, semblait hésiter à cacher les beautés s’étendant devant moi.

La Côte d’Or, quant à elle, fut découverte par moi à vélo par un itinéraire tout en belvédères plus beaux les uns que les autres et où les tentations œnologiques ne manquent pas en traversant des pays aux noms aussi prestigieux que Pommard, Meursault, Gevrey-Chambertin, ou Clos Vougeot.

À noter au passage une expression, qui en dit long sur la truculence des vignerons de la région, qui englobent les étrangers à leur contrée sous l’appellation plutôt péjorative des « Tout-Pâles »…

Plus au sud, par le Charolais et le Mâconnais, avec Françoise, nous avons traversé une région également accidentée et superbe et d’une richesse peu commune en églises romanes splendides qui nous ont laissé à tous deux une impression de grâce et de simplicité remarquables.

Outre Cluny et Tournus qui sont de renommées écrasantes, il y a une foule de petites églises ou simples chapelles qui parlent au cœur de ceux qui les découvrent. Pour moi, je me sens infiniment plus près de la révélation de la foi dans un humble sanctuaire roman que dans les énormes édifices gothiques où la vanité des choses n’est que trop visible.

En allant vers le nord-ouest de Dijon, la ville-musée, on trouve le Val Suzon où se trouve la Fontaine de Jouvence, lieu-dit au nom prestigieux. C’est un vallon délicieux qui serpente parmi les coteaux calcaires riches en sources multiples.

J’ai campé près de la Fontaine de Jouvence, un soir de fin décembre, dans le petit bois de résineux bordant le Suzon, sans que je me sois senti, après coup, sensiblement rajeuni par ce court séjour. Les fées seraient-elles fatiguées?

Remontant le Val Suzon, on atteint les plateaux de l’Auxois où, entre autres vallées, celles de l’Ozerain et de l’Armançon, coulent dans des décors très verdoyants et que j’ai appréciés au cours de plusieurs randonnées.

Le Châtillonnais serait un peu monotone sans ses belles forêts et la Vallée de la Seine qui, à ce moment de sa vie, est encore un modeste ruisseau aux eaux claires qui est bien aise de recevoir en renfort bon nombre de résurgences jaillissant du pied de diverses falaises calcaires. Nous sommes encore loin de l’aspect opulent du fleuve arrosant la capitale!

Avec Jean, nous avons descendu la Seine en canoë, il y a bien longtemps, et nous en avons conservé des images d’une nature propre aux eaux impolluées. Souvenir annexe: celui d’un auto-stop fait par moi pour retrouver notre voiture laissée en amont au point d’embarquement. Cela m’avait valu l’occasion de monter dans une somptueuse voiture pilotée par une descendante de la famille des Montbrison alors que, dans mon dos, un dogue énorme me bavait gentiment dans le cou!

Un salut en passant à la Puisaye, un des confins bourguignons, et qui marque la limite entre versant atlantique de la Loire et le versant coulant vers la Manche par la Seine.

C’est en Puisaye que les Blier, ces amis de toujours, ont acheté une résidence secondaire.

Après bien des randonnées en commun, les « cousins » ont jeté l’ancre dans cette Bourgogne proche de l’Ile-de-France. C’est une région, non dépourvue de grâce, dont les collines se font de plus en plus modestes au fur et à mesure que l’on se rapproche du Val de Loire qui n’est pas très éloigné.

Je me souviens d’une phrase de Jean, ancien campeur qui en a conservé quelques réflexes, et qui me disait pour me présenter son choix du lieu: « Tu vois… C’est un endroit où l’on aimerait volontiers planter sa tente… »

C’est ce que Marcelle et lui ont fait de façon assez définitive en y achetant une maison dans laquelle ils passent maintenant la majorité de leurs loisirs. Mais un point de villégiature fixe peut-il donner des joies aussi profondes et variées que celles que le campeur-randonneur découvre à chaque nouvelle vadrouille?