Ile de France

J’ai tracé autour de la capitale, donc dans l’Ile-de-France, un réseau continu d’itinéraires que j’avais, par analogie avec la Voie de la Libération créée après les événements de1945, baptisé « la Voie de l’Évasion ». Depuis lors, le G.R.1, avec ses variantes, s’est construit au fil des années et, à plus d’un endroit, j’ai pu constater qu’il se confond avec mon circuit personnel. Ce qui prouve que les amateurs de la Nature se rencontrent, au moins par la pensée, pour leurs goûts des beaux endroits.

Parisis, Senlisis, Pays-de-France, Brie-Française, Hurepoix, Vexin-Français, Mantois : tous ces vieux noms désuets fleurent bon le passé. Ils recouvrent des petits pays aux caractéristiques propres, mais qui se fondent de plus en plus dans la grande nébuleuse de la capitale qui les modifie de plus en plus et les transforme en une ceinture de banlieues qui va, hélas, s’élargissant sans cesse…

C’est à n’en pas douter, une des régions de la France où les souvenirs des vétérans ont le plus évolués par rapport à la modernité actuelle. Que d’itinéraires de naguère où la campagne et la forêt sont maintenant remplacées par un tissus urbain de plus en plus envahissant!

Le vieux Jean me disait, il y a peu: « Tu sais, le camp fait avec Marcelle dans la Vallée de l’Essonne non loin de La Ferté-Alais… Et bien, on y a construit des H.L.M…. » C’est dire qu’en Ile-de-France, plus encore qu’ailleurs, il faut cultiver ses souvenirs comme étant un bien précieux…

Une très vieille randonnée est celle faite avec l’ami Jean en Forêt de Montmorency et je revois notre petite tente itisa plantée dans les rejets de châtaigniers proches de la Tour du Plumet à quelques kilomètres seulement de Paris.

Très anciennes promenades aussi, dans le Vexin, autour du village de Vétheuil où mes parents avaient une maison pendant la guerre et où j’ai passé deux ou trois étés dans ma jeunesse. Ce fut la toile de fond de randonnées multiples dont une faite avec notre cher petit Pierre à vélo. Que cela est loin!

Lointaines aussi les sorties avec François, Lou, Jean, Marcelle, dans la ceinture verte au nord de Paris dans les forêts de Senlis, Chantilly, Ermenonville ou Halatte.

Le Multien fait plus ou moins partie de la Champagne, mais se trouve si près de la capitale que je l’englobe dans l’Ile-de-France et j’en parle pour évoquer une randonnée typique de l’esprit patagon.

C’était en hiver et Jean et moi étions partis dans la nuit tombante au long de la Savières, affluent de l’Ourcq en amont de La Ferté-Millon. Il faisait un temps froid et humide et la pluie se mit à tomber alors que nous partions à pied. Je sors alors ma cape imperméable et Jean cherche la sienne pour constater qu’il l’a oubliée chez lui ! Afin de s’abriter, il se met alors sur la tête une serpillière trouvée dans le coffre de la voiture. Et nous marchons dans la nuit en riant tous les deux de notre mentalité de vieux petits scouts attardés…

La Brie-Française, entre Marne et Seine, est l’endroit unique où je me souvienne de la présente menaçante d’un animal sous la tente: notre guitoune dressée au bord de la Marne près du Bois de Meaux, en fut le théâtre. Nous étions en train d’en finir l’installation quand, sous le tapis de sol, nous vîmes les ondulations provoquées par un serpent qui visiblement avait aussi peur que nous et cherchait à s’enfuir. Il n’y eut pas d’autres suites car aucun des deux camps n’était disposé à continuer les relations…

Cette Brie-Française possédait peu de forêts ouvertes au public même si cela s’est modifié depuis, aussi y tracer des itinéraires pittoresques n’était pas toujours facile, les bois privés soigneusement clos y étant plus nombreux que les forêts domaniales. J’y fis cependant quelques randonnées agréables car, au cours des années soixante, l’urbanisation des lieux y était encore raisonnablement limitée.

Je me souviens d’une de mes multiples interpellations par des gendarmes soupçonneux alors que j’entamais une randonnée au départ de Mormant. Je n’ai pas non plus oublié leurs têtes à ma réponse concernant ma profession alors que ce vagabond qu’ils interrogeaient d’un air méfiant leur répondait, d’un air à peine ironique: « Je suis P.D.G d’une société anonyme… »

Au sud-ouest de Paris, le Hurepoix est plus gracieux car plus vallonné et les plaines de cultures y sont coupées par des vallées où coulent de charmantes rivières.

Fait surface dans mes souvenirs, une randonnée au long de la Juine avec Jean par un bel itinéraire dominant cette vallée entre Etampes et Saclas par une suite de coteaux boisés très pittoresques où la voie de chemin de fer désaffectée est devenue maintenant un belvédère pour les promeneurs.

Dans le Hurepoix toujours, se situe cette promenade épique avec mon épouse aux environ de Saint-Sulpice-de-Favières. C’était un premier janvier et, bien qu’enceinte de deux mois, ma courageuse Françoise était partie sac au dos accompagnant son fanatique de mari pour une sortie assez courte, certes, mais effectuée par une température suffisamment hivernale pour la rendre méritoire. Je revois, après la pause du déjeuner, Françoise allongée dans l’herbe malgré la froidure et faisant une petite sieste pour surmonter sa fatigue! C’est un exemple de l’esprit patagon poussé assez loin…

Les escapades en Vallée de Chevreuse furent aussi assez nombreuses bien que cette région soit trop belle pour ne pas avoir été envahie très tôt par les résidences secondaires, ce qui rend les randonnées parfois difficiles à maintenir dans un cadre présentant un minimum de sauvagerie.

La Forêt de Rambouillet forme aussi une région du Hurepoix largement visitée.

Le Massif rambolitain est un ensemble souvent marqué par l’humidité qui est à la source des nombreux étangs qui font son charme et dont beaucoup sont situés dans un joli cadre pittoresquement vallonné. C’est aussi une forêt riche en gros gibier et l’on y rencontre parfois des équipages de chasse à courre.

J’ai, vis-à-vis de la chasse, un jugement ambigu… La vue des animaux sauvages en liberté est un spectacle que j’apprécie trop pour approuver une activité qui les détruit. Mais je comprends un peu le plaisir, bien sûr cruel, du chasseur qui traque une proie car il est, à dire vrai, assez proche de celui du pêcheur ferrant une prise. Or, je suis pêcheur…

Est-ce une raison suffisante que de se baser sur le fait que les poissons ont le sang froid et qu’ils souffrent et meurent en silence, pour absoudre les disciples de Saint-Pierre et condamner ceux de Saint-Hubert?

Je crois que, de même que l’instinct primitif de l’homme préhistorique survit un peu, comme je l’ai dit, dans le besoin du randonneur campeur qui cherche à s’évader de la vie trop moderne, de même l’instinct de capture est ancré au plus profond de notre être. Alors, lutter contre les instincts? Il y en a de caractères nettement asociaux qu’il faut essayer de refréner sinon de faire disparaître, mais on ne peut les effacer tous et des soupapes de sécurité peuvent s’avérer nécessaires.

Pour en revenir à la chasse, je crois aussi qu’il y a lieu de faire des distinguos et que l’on ne peut mettre sur le même plan le porteur de fusil qui, dans une battue, tire sur tout ce qui bouge et le chasseur qui, aidé ou non de son chien, est à la recherche d’un gibier avec lequel il se mesure dans ce cas, sinon à armes égales, du moins dans des conditions d’équilibre raisonnables et acceptables. En effet, c’est l’astuce de l’homme qui s’affronte à celle de l’animal.

Je citerai cependant pour mémoire, le cas de ce jour où, interrogé par les membres d’une chasse à courre sur les traces d’un cerf, je les ai très aimablement aiguillé sur une fausse piste: ce jour-là j’étais dans le camp des bêtes de la forêt!

La Forêt de Rambouillet est un terrain de chasse dans lequel il est préférable de ne pas circuler avec trop de discrétion les jours de tirs, mais où les autres jours, on a moins de chance d’accidents que dans la circulation automobile parisienne!

Dans ce massif aussi, ma mémoire dégage des images de l’oubli et me fait revivre quelques anecdotes parmi tant d’autres.

Le souvenir d’une nuit passée dans les Rochers d’Angennes avec les « cousins » Blier. Nous avions acheté des harengs saurs que mes amis n’appréciaient que très modérément: j’en avais donc ingurgité la presque totalité, d’où une nuit marquée par une soif inextinguible que je ne suis pas près d’oublier.

Et ce camp installé imprudemment dans le thalweg à sec d’un ruisseau alimentant un des Étangs de Hollande! Au milieu de la nuit, une forte averse transforme ma rigole à sec en un ru modeste mais efficace… Je me réveille dans un sac de couchage trempé et assez frisquet car c’était en hiver! J’ai fini la nuit dans ma voiture garée à une dizaine de kilomètres de là et regagnée à marche forcée vers trois heures du matin…

C’est près de l’Étang de la Tour que j’ai fait un camp pour mon quarantième anniversaire et que je me voyais déjà sur la pente descendante de l’existence! Mais la vieillesse est chose tellement relative… Aujourd’hui, soit plus de trente ans plus tard, j’estime que la quarantaine n’est pas loin d’être la force de l’âge!

Tout au long de ma vie, j’ai généralement considéré que la vieillesse commençait dix ans après mon âge du moment. Quand cela finira-t-il? C’est la grande question pour tout le monde et c’est aussi un point d’interrogation dont le poids croît certainement avec le temps qui s’écoule.

Mais la vieillesse est en route et marque des points tous les jours. C’est lors d’une virée cycliste dans cette même forêt que je me suis rendu compte, il y a quelque temps, que je devais me faire opérer d’une hernie qui constituait un handicap trop lourd au cours de mes randonnées.