28 et 29 janvier 1950 – La Ferté-Alais et retour
La 4 CV une fois garée dans une cour de café à la Ferté-Alais, je retrouve à nouveau celui qui sommeillait en moi pendant les heures mathieuses de la ville : c’est un randonneur heureux d’aller dans l’air froid et sec de la nature hivernale.
Après 500 mètres me voici dans les roches du massif bellifontain qui vient mourir ici de l’autre côté de l’Essonne. Que le spectacle est beau et tranquille dans cette campagne au repos où rochers et fougères mettent des grisailles et des dorures ! Il y aurait un magnifique camp à faire ici et de plus très pratique pour un vendredi soir où le temps est compté car je suis à un demi kilomètre de la goudronnée : bon à noter !
Je fais quelques photos très douteuses car la lumière est insuffisante puis je pars vers l’ouest en coupant carrément à la boussole car les sentiers dédaignent le rebord du plateau qui est le plus intéressant à voir je pense. Terrain très accidenté car en plus des dénivellations naturelles, il y a beaucoup d’anciennes carrières, aux trois quarts reconquises par la nature d’ailleurs, ce qui donne un paysage malgré tout assez sauvage. Pour corser l’ensemble le vent souffle sur le coin un fin grésil qui blanchit les rochers.
Le froid pince ferme et sans les moufles fourrées je serais handicapé sérieusement car la progression est suffisamment patagonne pour proscrire les mains dans les poches.
Toute cette colline est remplie de coins de camps et en été je suppose l’endroit assez mathieusé, mais aujourd’hui c’est désert à souhait.
Je tourne des rochers élégamment verglacés qui se terminent dans un maquis touffu, en descendant par une sablière à pic qui me dépose dans un chemin menant à la plaine de culture que je dois traverser maintenant pour atteindre le revers de la butte du Bois de Misery. Je compte déjeuner dans les rochers qu’il doit y avoir là.
Labours gelés où détale un lièvre effrayé par mon approche, puis voici le village de Cerny que je longe avant de faire un parcours en lisière de bois où le vent froid de la plaine est agréablement brisé par les arbres.
Pour me faire patienter jusqu’au déjeuner, je casse une petite graine au bord de la route. Un paysan me regarde faire assez sidéré : visiblement il considérait que l’hiver débarrasse le pays des campeurs au même titre que les moustiques, les aoutats et autres vermines. Il m’adresse quelques paroles, me cachant à peine qu’il me prend pour un fou.
Une fois reparti, je traverse une contrée à l’allure typiquement bellifontaine avec vallonnements couverts de débris forestiers où dominent les frits de pins et les bruyères. Çà et là se dressent des chaos rocheux dont l’un d’eux, isolé comme un château fort, me prêtera l’abri d’un surplomb pour me protéger du gel glacial et d’une pluie ou plutôt neige possible.
Il fait bon manger chaud par ce froid cinglant et c’est avec un appétit sincère que je fais disparaître mon repas.
Une fois reparti, malgré les calories absorbées, mes yeux larmoient copieusement et comme, de plus, je suis assez maladroit pour me laisser cingler l’un d’eux par une branche traitresse, je vois littéralement des chandelles et je n’en verrai pas clair pendant quelques minutes.
Au château de Farcheville dont je longe l’élégante clôture du parc, je retrouve les cultures que je suivrai en lisière jusqu’à la route de Val Puiseaux.
Encore une halte pour manger un peu (c’est fou ce que j’ai d’appétit par ce temps là !) et me voici à Val Puiseaux même où une épicerie me fournit un complément de ravitaillement.
Sur la carte d’état-major, un endroit porte le nom prometteur de Vallée de Josaphat. C’est mon objectif immédiat. Après avoir parcouru une vallée sèche déserte et bordée de bois touffus qui semble bien loin de Paris, j’y arrive. C’est un vallon affluent qui vient de l’est. L’ensemble est extrêmement sympathique surtout que maintenant les pins se mettent à dominer les autres arbres à feuilles caduques. Et comme il n’y a qu’un chemin de chars discret à merveille pour desservir ce coin, il est possible que même en été l’endroit ne soit pas mathieusé. Dans tous les cas, en ce moment il est épatamment désert.
Je remonte donc la Vallée de Josaphat pleine d’emplacements biens pour camper. Lentement on s’élève jusqu’au niveau du plateau où je retrouve ma vieille connaissance le vent qui a de la place pour bien prendre son élan sur toute cette platitude avant de me gifler de toutes ses forces.
Encore une traversée de cultures. Ici les sentiers se perdent plus ou moins dans la plaine et à la boussole je découvre finalement à l’horizon une grosse ferme qui me servira de point de repère pour me diriger vers la goudronnée que je dois suivre quelques centaines de mètres avant de retrouver mes amis les sentiers.
La nuit tombe maintenant et je fais une halte, que le froid m’oblige à abréger, pour manger un petit quelque chose et enfiler quelques épaisseurs supplémentaires car il doit y avoir plusieurs degré sous zéro.
Je vais en me dirigeant uniquement à la boussole dans d’immenses labours gelés où je me tords copieusement les pieds car l’obscurité me cache traitreusement les bosses et ma toute petite lampe électrique serait usée en peu de temps si je l’utilise sans arrêts.
Voici un petit bosquet isolé dans la plaine nue où je reprends un sentier.
Devant moi, je distingue quelque chose qui s’enfuit dans une ornière. Je le rattrape facilement à la course et l’identifie approximativement : belette ou furet. Le pauvre animal parait très effrayé et court aussi vite qu’il peut mais son allure reste maladroite et endormie malgré son souffle haletant qui témoigne de son agitation. Est-ce son attitude habituelle ou est-il blessé ? Je la suis facilement en courant à peine. Pris de pitié pour son air apeurée je vais la laisser en paix, quand, animée d’un courage désespéré, ma rencontre fait face en poussant un cri enroué. Nos relations s’arrêtent là.
Voici la fin du plateau et le sentier s’incline vers la vallée de l’Essonne que je vais retrouver ici. La pente s’accentue et se boise et l’endroit devient bien tentant pour y camper. Mais cette randonnée nocturne m’est si agréable que je décide de passer la nuit sur l’autre versant. Je gagne donc la rivière que je franchis au Pont de Boutigny et longe l’Essonne par la goudronnée qui la suit sur la rive droite.
Juste avant Pasloups un sentier s’enfonce à droite dans les bois qui garnissent le coteau. Voilà ce qu’il me faut. Encore un peu de marche et voici, non loin d’une carrière de pierres, un emplacement de premier choix avec vue imprenable sur la vallée, le tout noyé dans les pins.
Bientôt le feu crépite sous ma gamelle et une nuit de plus sous la tente va s’inscrire sur mon carnet de route.
Ce matin je me lève en déployant bien du courage car il fait encore plus froid qu’hier et le mot héroïsme me parait ridiculement faible pour qualifier le fait de s’extraire des duvets tout chauds.
Après un sérieux petit déjeuner je lève le camp.
La carrière à laquelle j’étais adossé pour passer la nuit est abandonnée par endroits et cela donne des points de vue pittoresques sur des espèces de falaises.
Une courte marche me mène au sommet du plateau couvert ici d’une végétation fort sympathique : pins et arbustes épineux le tout sur une herbe épaisse et courte qui semble attendre le campeur.
Le village à demi ruiné de Marchais que je traverse rapidement marque le début des cultures.
Comme hier, je m’engage dans une vaste plaine où rien ne retient le vent et seule la bonne chaleur dynamique de la marche rend possible d’y rester sans grelotter car ce brigand d’Eole persécute dur ce matin ! Mes yeux pleurent, mon nez renifle et pourtant je me sens heureux avec une exaltante impression de lutte dont je sens la victoire en moi.
Aiguillonné par le froid, j’avale d’une traite une distance assez respectable avant d’atteindre la lisière des bois de l’autre côté. De loin, je longe la vallée de l’Ecole aux versants moins pittoresques que ceux de l’Essonne.
Pourtant, près du village de Videlles où je fais quelques achats, un très bel amas de rochers me propose une halte pour le déjeuner.
Pris de compassion pour mes pauvres doigts gourds, le soleil veut bien se montrer un tout petit peu pendant mon repas. Mais un rien de varappe me réchauffera encore plus surement.
Re-départ et progression le long de l’éperon rocheux qui se dresse à l’est de Tidelles, gracieuse dans son cadre de collines. En maints endroits des carrières ont ouvert des plaies dans la terre, mais la nature les a pansé si joliment que le paysage n’en souffre pas au contraire.
Le sentier que je suivais se perd dans les broussailles et encore une fois, c’est à la boussole que je continuerai dans un terrain couvert d’arbres abattus qui pourrissent sur place.
Dans la plaine que je découvre à nouveau à mes pieds, serpente un sentier très bien tracé qui relie entre elles des espèces de guérites : c’est l’aqueduc de la Vanne que je rejoins pour le suivre jusqu’au groupe de rochers de la Padole.
Après une courte halte où je mange un morceau (encore !) j’escalade ces rochers d’où l’on jouit d’une vue très étendue. Après quelques timides essais d’escalade je vais reconnaitre rapidement le versant nord de la colline moins joli que le sud, puis je prends le chemin du retour.
Voici Mondeville où je renouvelle ma provision d’eau à une borne fontaine aux abords couverts de glace qui sont une patinoire redoutablement plus dangereuse que celle où des gosses s’amusent sur une mare gelée.
Un sentier me fera encore voir quelques chaos intéressants mais moins sauvages que ceux admirés jusqu’alors. Puis c’est la goudronnée qui doit me conduire jusqu’à la Ferté-Alais. Mais juste en face, un chemin de chars est là trop tentant pour que je puisse y résister. Au surplus je ne pense pas qu’il me retarde beaucoup.
Je n’aurai pas à regretter cette décision qui me fera encore randonner dans des rochers malheureusement victimes des carrières mais encore majestueux.
Au sommet, je retrouve les cultures et, après un trajet assez rapide dans les labours, je retrouve une nationale qui me mène sans fioritures jusqu’à la Ferté.
Voici une randonnée qui m’aura confirmé qu’en dehors de la forêt de Fontainebleau proprement dite, son massif s’étend fort loin et déborde largement sur la rive gauche de l’Essonne. On peut trouver de beaux chaos de rochers dans presque toutes les vallées sèches qui creusent ce début de Beauce et en rompant la monotonie.
Il n’y a qu’à avoir le petit courage de les joindre par un peu de marche à travers la plaine nue.
Voilà une agréable région de montagnes russes à revoir.