Massif Central

Notre premier contact avec la montagne se fit dans une région au relief assez modéré dans le Massif Central, ce qui était assez sage pour les débutants montagnards que nous étions.

Qui étaient du voyage? Il y avait les « cousins » Marcelle et Jean, Paul-le-Toubib et moi-même, et ce quatuor débarqua un beau matin d’été à La Bourboule, prêt à conquérir l’Auvergne.

Il y avait deux fanatiques : Jean et moi qui avions « bouffé du lion » et deux modérés : Marcelle et Paul qui essayaient, si faire ce peut, de tempérer notre ardeur.

Ce fut un très beau voyage avec des moments mémorables parmi lesquels je pêche au hasard: notre arrivée au sommet du Puy de Sancy par la raide pente terminale, notre camp splendide dominant le lac Pavin, un autre camp en bordure du lac Chauvet (atteint après une marche nocturne sous un clair de lune inoubliable) la traversée des Gorges d’Avèze avec ses innombrables passages à gué, le franchissement du Chavannon aux eaux noires pendant que l’orage claquait sur nos têtes. Beaucoup de souvenirs qui restent dans nos têtes et dans nos cœurs…

D’autres itinéraires magnifiques se déroulèrent en Auvergne et à travers le Massif Central en général.

Avec ma Françoise, à pied ou à vélo, nous avons admiré bien des coins de ce merveilleux centre de la France.

Randonnée pédestre de Brioude à La Bourboule à travers le Plateau du Cézalier puis le massif du Sancy et se terminant par un camp proche de la Tête du Capucin dans un décor au panorama d’une ampleur étonnante. Nous étions accompagné de notre ami à quatre pattes, le chien Dag et son image reste liée pour nous aux merveilleux paysages que nous découvrîmes tout au long de ce parcours, puis sur celui découvert ensuite entre Saint-Flour et Le Lioran fait à la suite après un intermède automobile.

Sur cette seconde section, nous traversâmes la planèze située à l’ouest de Saint-Flour où paissent, en quasi-liberté, d’importants troupeaux de vaches de la race de Salers. Ce sont des bovins aux cornes d’une envergure impressionnante et dont la robe brun rouge foncé renforce l’aspect redoutable.

Mues par leur instinct grégaire, toutes les vaches ont toujours fait front ensemble, et souvent dans un mouvement circulaire autour de nous, quand nous circulions accompagnés de notre chien. Dans ces circonstances, notre ami Dag n’en menait pas large et nous ne sommes pas prêts d’oublier ses oreilles alors rabattues craintivement en arrière.

Nous appelions cette attitude « ses oreilles de mouton » et il retrouvait cette mimique chaque fois que son moral flanchait: crainte de quelque chose, mauvaise conscience après une bêtise ou état sanitaire incertain, par exemple en voiture quand le mal de la route lui tourmentait l’estomac.

C’est aussi au cours de cette randonnée que Dag nous donna le spectacle d’une défaillance physique aussi brusque que très rare chez lui. Alors que nous traversions la planèze sous un chaud soleil, notre compagnon montra tout à coup des signes évidents de faiblesse. Lui qui, d’une façon générale, courait toujours à droite et à gauche en suivant des pistes aux odeurs sans doute délicieuses, il se mit soudain à traîner la patte dernière nous en faisant ses « oreilles de mouton ».

Nous commencions à nous inquiéter sérieusement quand, en traversant Valuéjols, village perdu dans la planèze, nous trouvâmes le remède lui convenant: nous commençâmes par le combler de morceaux de sucre puis nous le poussâmes à s’abreuver largement à la fontaine du pays. Et le voilà reparti, gaillard comme avant…

Ce genre de défaillance était rarissime pour notre ami Dag qui, la plupart du temps trottait infatigablement à nos côtés. Il est vrai qu’il ne portait pas de sac, lui!

D’autres randonnées eurent lieu dans le Massif Central avec Françoise.

En canoë, nous avons conservé des souvenirs magnifiques de la descente de la Loire du Puy-en-Velay jusqu’aux approches de Saint Etienne où notre croisière se termina dans les eaux calmes et vertes du barrage de Grandjean après tant d’eaux claires et tumultueuses admirées en amont. Que de camps sauvages dans ces gorges qui ne sont parfois longées par aucune route et qui aujourd’hui sont, par endroits, ennoyées sous des retenues de barrages hydroélectriques. Certains de nos chers souvenirs sont parfois aujourd’hui cachés au fond de l’eau…

Plus en aval, entre Feurs et Pouilly sous Charlieu, autre croisière, les gorges laissant place à des plaines de plus en plus élargies qui annoncent déjà la Loire royale des châteaux qui prendra, nettement plus en aval, ses lettres de noblesse.

Une autre fois, ce furent les Gorges du Tarn qui virent notre canoë naviguer entre Florac et Millau dans des conditions assez aventureuses puisque, à l’époque, Françoise était enceinte de notre petit Pierre depuis quelques mois déjà.

Ces navigations resteront toujours pour nous des souvenirs inoubliables pleins d’images ensoleillées.

À nous deux, nous avons aussi parcouru ces régions à vélo en cherchant à appliquer une théorie fermement suggérée par mon épouse: commencer la randonnée par une descente substantielle. C’est donc avec des parcours initiaux en roue libre sur une cinquantaine de kilomètres que nous avons joint le Lioran aux relativement bas-pays situés au nord et au sud de ce col cantalou.

Vers le nord, nous descendîmes jusqu’à l’Allier le beau Val d’Alagnon qui s’y termine. Cela nous valu d’admirer sans fatigue cette vallée magnifique et verdoyante où bois et prairies alternent uniquement pour la joie du regard, semble-t-il.

Nous y fîmes un très beau camp sous le rocher où lequel domine le Château de Léotoing, puis, comme on ne peut pas descendre indéfiniment, nous avions ensuite remonté le Val d’Allier, traversé Brioude, pour atteindre Monistrol-d’Allier par un magnifique parcours à travers les hauteurs dominant cette rivière sauvage qui n’est suivie par aucune route de rivage dans ce secteur.

Le printemps suivant, Françoise et moi, nous nous retrouvions au Col du Lioran pour plonger allègrement dans son versant sud cette fois. Encore une cinquantaine de kilomètres en roue libre pour atteindre Aurillac!

Mais en cette fin du mois de Mai, si la montagne nous offrait un ciel pur, il se révélait bien frisquet en altitude, surtout pour des cyclistes paresseux dont les muscles sont au repos au moment de la descente. Je nous revois emmitouflés sous pas mal d’épaisseurs de vêtements dans cette longue descente…

Ce soir-là, sept cents mètres plus bas que notre point de départ, le printemps était moins frais et, de notre tente, nous admirions la vue sur le barrage de Saint-Etienne-Cantalès.

Nous terminâmes cette belle randonnée à Biars-sur-Cère, c’est-à-dire aux confins du Limousin, du Périgord et du Quercy.

Surprise: à la gare, où nous prenions le train pour rejoindre notre voiture laissée au Lioran, nous rencontrâmes par hasard Geneviève, la sœur de Françoise: le monde est petit!

Un autre souvenir d’Auvergne est un périple cycliste en solo qui passait par Aubusson, Eygurande, le Mont-d’Or avec retour par les plateaux de Combrailles et de Millevaches. Il s’agissait d’un été très chaud où le thermomètre avait atteint 35 dans cette région. Deux ou trois jours plus tard, une série d’orages extrêmement violents ravageaient ce coin où je venais de faire ma balade et ils provoquaient des dégâts très importants: on peut dire que ma petite tente l’avait échappé belle!

C’est aussi aux confins du Limousin et du Périgord que Françoise fit avec moi sa dernière randonnée car ensuite elle préféra me laisser vadrouiller seul sur les chemins de France à la poursuite de ma passion que l’âge rendra bientôt tout à fait déraisonnable. Pour autant qu’une passion puisse se juger à l’aune de la raison…

Cet ultime voyage cycliste à deux nous mena depuis Egletons-en-Corrèze, sur les basses pentes des Monts des Monédières, avant de replonger vers la plaine par les vallées de la Corrèze puis de la Vézère. C’est le type même de randonnée où, sur une distance somme toute peu longue, on trouve des différences nettement marquées dans les sites et le genre de vie des pays traversés.

Le Massif Central, dont j’évoque les souvenirs au cours des présentes pages, est d’ailleurs une des régions de la France où je crois que les paysages et l’ambiance les accompagnant changent le plus rapidement.

Vers le Nord et les plaines du Bourbonnais, vers l’Est et l’Ardèche calcaire qui plonge vers le sillon rhodanien, vers l’Ouest et les vallées multiples coulant vers l’Atlantique, ou vers le Sud où le climat méditerranéen montre le bout de son nez, le Massif Central est un lieu écartelé entre bien des tendances. On en ressent vite les prémices en allant dans un sens ou dans l’autre à travers cette région si variée.