Si l’on suit toujours l’ordre chronologique, la seconde région découverte par moi fut le Massif de Fontainebleau qui, bien que situé dans l’Ile-de-France dont je parlerai plus loin, vaut la peine d’être évoquée à part. La petite distance le séparant de Paris est la cause d’un nombre impressionnant de sorties dans ce magnifique pays situé entre la Seine et le Loing.
Si la forêt est bien évidemment la caractéristique primordiale de cette région, il faut préciser qu’il s’agit d’une sylve très particulière du fait des chaos rocheux qui la parsèment et lui confèrent une physionomie propre et un caractère de sauvagerie bien spécifique.
Bien sûr, le grand nombre de visiteurs fréquentant la Forêt de Fontainebleau n’est pas sans apporter des nuisances graves à ce site qui est merveilleux dans le sens fort de cet adjectif. Outre le fait que la surfréquentation multiplie les traces de piétinements et que le nombre des nouveaux sentiers ainsi créés nuit beaucoup au mystère des lieux autant qu’à la vie des animaux sauvages, le plus grand malheur est sans doute le fait que cette foule de promeneurs n’a qu’un souci extrêmement limité de ne pas souiller la forêt.
On a donc la tristesse de trouver largement dans les sous-bois ou les rochers, des emballages vides, des papiers douteux, des canettes de bière et autres témoignages lamentables de la présence des hommes qu’il faut bien considérer comme les nuisibles de première importance de la planète.
Malgré cela, pour peu que l’on s’y trouve hors des heures d’envahissement des week-ends et que l’on sache un peu choisir les endroits où aller, la Forêt de Fontainebleau peut encore donner de bien beaux moments de beauté et de tranquillité.
Chaos rocheux, platières dépaysantes, mares solitaires, sablons étranges, futaies grandioses ou taillis sauvages, la variété de cette forêt est infinie et inépuisable. C’est encore un endroit où, ma femme et moi, ne nous lassons guère d’aller, de retourner et même encore parfois de découvrir…
Les bordures du massif ne manquent pas d’intérêt non plus.
Il y a les lisières est et sud-ouest, où la forêt se termine dans la plaine de Beauce par des zones de transition qui ne sont pas sans charme avec leur alternance de bois se mêlant aux cultures. Si les villages y ont été colonisés en quasi-totalité par des résidences secondaires de citadins, ceci parfois est réalisé avec une certaine élégance qui, parfois, fait oublier un peu le manque d’authenticité des lieux ainsi transformés.
Le cas de Barbizon est un exemple caractéristique pour ne pas dire caricatural de cette évolution, car l’agglomération est devenue au fil des années une sorte de musée consacré aux peintres de la Belle-Epoque. Les galeries de peintures y sont entourées de restaurants, crêperies, brasseries, hôtels et autres pièges à touristes. Tous ces commerces fonctionnent à plein et grouillent de monde les jours de week-end, surtout à la saison chaude. Les amoureux de la tranquillité sylvestre éviteront alors de visiter ces lieux gâchés par la présence de la foule…
La limite nord de la forêt est bordée par la Seine et, entre Melun et Saint-Mammès confluent du Loing, bien des rives ont conservé du charme: soit par la grâce de certains villages restés pittoresques, soit par un reste de sauvagerie en limite de la zone domaniale. Mais ces territoires sont une peau de chagrin qui rétrécit tous les jours!
Samois, perchée sur le rebord du plateau forestier mais descendant jusqu’à la Seine, est encore un village qui a perdu la quasi-totalité de son activité agricole et est devenu une sorte de fantôme gracieux de son visage utilitaire de naguère.
La dernière bordure du massif bellifontain est formée par la vallée du Loing qui égrène un chapelet de villages généralement charmants entre Nemours et Morêt.
C’est entre ces deux villes qu’eut lieu la première de toutes mes randonnées et j’ai déjà évoqué, dans le prologue de ce livre de mémoires, cette sortie initiatique dont le souvenir n’est pas près de s’éteindre.
Avec l’ami Jean, nous avions été émerveillés par la petite ville de Nemours, sa belle église, son château trapu, ses rives du Loing si charmantes et ses canaux aux allures vénitiennes.
C’étaient juste après la guerre de 39-44 et, à l’époque, les résidences secondaires étaient encore limitées en nombre. Nous avions donc pu suivre la rivière sur ses rives même, sans être beaucoup gênés par les clôtures. Il n’en serait certainement plus de même aujourd’hui!…
Après notre premier camp à Gretz-sur-Loing, nous en avions fait un second, au bord de la rivière également, à Sorques, avant d’atteindre, pour terminer, Morêt par le quartier du Vieux-Pont qui nous avait remplis d’admiration avec le vannage de l’ancien moulin, la Porte de Bourgogne donnant sur le pont, le tout se profilant sur l’arrière plan dominé par le clocher de l’église Notre-Dame.
Pour notre première balade, nous avions vraiment eu la main heureuse en traversant une région magnifique!
La vallée du Loing fut le théâtre de bien d’autres visites tant à pied, qu’à vélo ou en canoë. La dernière croisière sur cette belle rivière fut faite avec Françoise.
Nous étions partis de Montargis, dans le Gâtinais, et avions terminé notre descente à Morêt après deux jours d’une navigation délicieuse dont certains passages sont marqués par un courant un peu vif mais ne présentant pas de difficultés sérieuses.
Cette croisière avait été coupée par un camp à Chaintrauville, un peu en amont de Nemours. Je me souviens fort bien de cet emplacement en bordure de la rivière sur la berge de laquelle, à cet endroit, les frênes poussent pratiquement les pieds dans l’eau.
Notre tente était blottie au bord du Loing sur un espace sauvage minuscule entre la rive et la clôture limitant un pré, de façon d’ailleurs très opportune, car un troupeau de vaches y formait un voisinage un peu inquiétant pour la nuit.
J’étais tout content de faire découvrir à mon épouse cette belle croisière que j’avais faite auparavant à deux reprises déjà.
` Parmi les régions riches en souvenirs, le Massif de Fontainebleau et ses bordures ne sont pas des moindres, car il a été parcouru peut-être cent fois par Françoise et moi et nous n’avons sans doute pas terminé nos pérégrinations dans ses multiples secteurs aux aspects si variés.
Les randonnées dans ce massif sont si nombreuses que j’ai inventé le néologisme de « bellifontomanie » pour qualifier l’amour indéfectible que je porte à cette région où je ne me lasse pas de traîner mes guêtres.
Depuis la découverte de cette forêt faite, il y a près d’un demi-siècle et également avec l’ami Jean, au cours d’une balade au départ de Bois-le-Duc, combien de fois n’y suis-je pas retourné!
Au printemps, quand les jeunes fougères pointent leurs crosses dans les larris, en été, alors que l’ombre est la bienvenue sous les épaisses futaies, en automne, quand les bouleaux pleurent la fin de la belle saison par mille feuilles dorées tombant sur le sol comme des écus d’or, en hiver, alors que les bois sont dénudés et réservent leur beauté à ceux qui ne craignent pas les frimas: j’aime Fontainebleau par tous les temps!
La première fois que la forêt fut admirée par moi sous la neige, ce fut à l’occasion d’une promenade avec Jean alors que nous étions encore de jeunes randonneurs émerveillés de planter notre guitoune dans un décor de Grand Nord. C’était au milieu de l’hiver dans le cadre du Rocher Bouligny près des roches nommées les Mazarines. Cet émerveillement ne s’est pas émoussé avec le temps et c’est toujours avec une joie profonde que l’on retrouve la forêt sous la neige quand on l’aime vraiment.
Plus d’une fois en effet, j’ai retrouvé le plaisir de monter ma tente dans la neige et de passer la nuit dans cette grande exposition de blanc, alors que la sauvagerie de la nature est soulignée par la solitude hivernale.
Mais, même en été et en dépit des promeneurs de plus en plus nombreux et envahissants, le massif bellifontain m’a donné bien des joies pour peu que l’on se donne le mal de s’écarter un peu des endroits trop connus du vulgum pecus.
Les rochers permettent aussi des nuits de bivouac et la tente devient alors inutile: certains de ces rochers sont pour moi comme des amis qui attendent mon arrivée pour m’offrir leur hospitalité de temps à autre. Je pense au bivouac des Deux-Portes dans la Vallée de Franchard, à celui de la Pédale Charentonnaise (honni soit qui mal y pense) dans la Vallée de la Solle, à celui que j’ai baptisé le B.V.L car je l’ai aménagé de mes mains, et bien d’autres…
Une des joies procurées par Fontainebleau, ce sont les rencontres, de moins en moins fréquentes malheureusement, avec du gros gibier. Si les sangliers sont très discrets (je n’en ai vu que deux fois) les autres bêtes ne sont pas si rares: cerfs, biches, chevreuils et autres visions plus ou moins fugitives, sont des cadeaux offerts pas les dieux! Du temps où notre ami à quatre pattes, l’irremplaçable Dagobert, nous accompagnait, que de fois nous avons dû refréner ses ardeurs de chasseur…
En vrac, car il y en a au moins une cinquantaine, voici quelques souvenirs marquants de camps dans le Massif de Fontainebleau : près de la mare aux Pigeons avec Jean, au sommet d’un des Trois-Pignons avec ce même copain, au Carrefour du Désert avec Dagobert, au Belvédère de Clair-Bois tout seul, au bord de la Seine vers le Petit-Barbeau avec notre cher petit Pierre, dans la Vallée de la Solle encore avec Pierre, au Carrefour de Bois-d’Hyver en solitaire, près de la Dame-Jouanne avec des copains, au Restant du Long Rocher encore en solitaire… Tous ces noms qui sentent bon la Doulce France chantent dans ma tête et dans mon cœur…
Mais, si la Forêt de Fontainebleau est un monde merveilleux, il y a autour de Paris bien d’autres endroits qui valent la peine que l’on parle d’eux.