Ça y est !
J’ai peine à la croire tant j’ai crains de ne pouvoir réaliser mon dessein. Mais pourtant, indiscutablement ça y est !
Je suis sur la Nationale n°3 et pédale allègrement en compagnie du copain Paul. J’ai devant moi plusieurs jours de liberté.. et de pêche ! Vive la vie ! Et je rythme mes coups de pédale en disant : ça y est … ça y est .. ça y est …
Quand je dis que je pédale allègrement, j’exagère un peu car si mon cœur est plein d’allégresse, mes mollets, eux, — bien que ce soit le début du voyage – commencent déjà à s’affaiblir car ils manquent encore d’entraînement, cette année, et, il souffle, juste en sens contraire à notre marche, un vent obstiné qui n’a que le mérite de venir de l’Est et de nous promettre un voyage au sec.
En effet, le ciel, si menaçant à notre départ, est maintenant complètement dégagé et nous roulons sous un soleil d’été…
Mon barda de disciple de Saint-Pierre amuse mon compagnon – un non pêcheur – qui, lui, n’a pour tout bagage qu’une peu encombrante mallette.
-Tu as bonne mine avec tes paniers ! Et les cannes fixées sur ton cadre ! Ben mon vieux, il faut avoir la pêche dans le sang pour trouver le courage de trimballer un équipement pareil ! Je t’admire et te plains à la fois !
C’est vrai qu’avec mes deux paniers, mon sac à dos et mes cannes je ne suis pas des plus légers… mais un pêcheur doit savoir s’endurcir pour satisfaire sa chère passion.
Un camion passe à vitesse réduite et nous sprintons pour tenter de nous y accrocher un peu, histoire de souffler, car le vent reste inexorablement contraire. Malheureusement, le pauvre Paul, complètement épuisé, ne peut arriver à s’accrocher au camion sauveur. Nous continuons donc de concert notre lutte contre Eole.
Enfin voici Meaux, première ville que nous traversons et qui marque la première étape. Nous descendons de vélo pour boire un coup et nous documenter sur les possibilités gastronomique de la contrée. Nous décidons de pousser jusqu’à Trilport pour y déjeuner et passons stoïquement, sans nous arrêter, devant des restaurants qui sont pourtant bien tentants…
Pour sortir de Meaux, une côte ! Et une belle ! Nous sommes presque à son sommet quand une sonore évocation à Cambronne me fait tourner la tête : la chaîne du vélo de mon copain vient de se briser ! Tant pis pour la côte à demie gravie et demi-tour sur Meaux…
Au fond je ne suis pas mécontent d’avoir une excuse pour me reposer et déjeuner à Meaux, et Paul non plus, je pense.
Pendant que mon camarade ébranle d’un poing rageur les devantures des réparateurs – mécaniciens, tous fermés – il est midi – je pars à la recherche d’un restaurant.
Quand je retrouve Paul, son vélo ne lui est promis que pour dans deux heures, le seul garage ouvert étant mobilisé pour un repas de fiançailles, je crois.
Nous avons donc largement le temps de faire un bon déjeuner. Sur les conseils d’un boucher (il doit s’y connaître) nous nous adressons aux Ducs d’Aquitaine où nous faisons un repas copieux.

Lestés de ces calories, mais surtout d’une vague somnolence, nous repartons, nos engins étant prêts.
Et c’est la lutte contre le vent qui recommence… Cette fois-ci, après un sprint désespéré nous parvenons à nous accrocher à un camion qui nous traîne une demi-douzaine de kilomètres avant que nous soyons contraints de le lâcher, par prudence, car la route devient mauvaise, et à la vitesse où nous allons…
Re lutte contre le re-vent ! Re-camion … re-sprint … re-accrochage … Cette fois, après un cahot le phare de Paul se démanche et nous lâchons notre camion bienfaiteur pour réparer.
Enfin, après je ne sais combien de kilomètres où nous nous trainons, nous dévalons une descente, c’est la Ferté-sous-gouarre !
Je laisse mon compagnon récupérer devant un verre de cidre, avant qu’il ne reparte, (il continue jusqu’à Château-Thierry, le malheureux !) et je cherche un gîte, ce qui ne s’avère pas un tâche aisée, car les hôtels donnent : soit un lit et pas de nourriture, soit de la nourriture et pas de lit !
A la fin je trouve à l’Hôtel du Commerce (quel nom original !) un logis et une table garnie.
Evidemment la chambre donne sur une cour intérieure et ne sent peut être pas exactement l’odeur des verdures champêtres… mais je n’y passerais que des nuits de pêcheurs, c’est-à-dire courtes ; de plus, je dors comme une souche.
Je rejoins, alors, Paul qui, après un court repos à la terrasse d’un café, repart pour Château-Thierry… 25 km environ … et toujours vent debout … Dieu aie son âme …
Je regarde partir mon valeureux ami avec admiration mais pitié.
Quant à moi, je ne pêcherais pas ce soir, il est un peu tard. D’ailleurs, avec ce satané vent…
Je fais une balade en vélo (bien que les jambes en coton) dans les environs et reconnais le Petit Morin que j’ai pêché avec Jean Blier il y a deux ans environ.
Que de réminiscences en moi ! Ce Moulin de Condetz … les Grands Calmes … l’endroit où un brochet vint attraper une sauterelle que Jean dandinait entre deux eaux… Ici j’ai manqué une très grosse perche…
Malheureusement, le si joli cours d’eau a été fort déboisé, et malgré l’espoir qui renait avec les jeunes pousses qui jaillissent des troncs mutilés, je me sens envahit par une douce mélancolie, comme si je revoyais une personne aimée, trop vieillie ou malade.
Par contre d’autres coins sont restés délicieusement semblables : le glacis … l’Eau Rapide … Presque plus sauvages que lors de notre première rencontre.
Je prends quelques photos, dont je n’ai pas grand espoir, car j’ai remarqué que quand je fais de la photographie, les meilleurs moments sont toujours ceux avant le développement. Quels jolis coins !
La maison des grands parents de mon ami Jean a ses volets fermés et sa grand’mère n’est pas là. Quant à son grand père je sais qu’il est mort. Tout cela me donne un peu de mélancolie que je ne puis chasser qu’en pensant à ma pêche de demain.
Après avoir poussé jusqu’à Courcelles, je reviens.
Je ne pêche que trois jours plus tard ayant été invité, par les amis de Paul, à Château-Thierry, où la Marne est plus ou moins canalisée et assez peu engageante, surtout avec le vent qui souffle presque en tempête.
Par contre, étant venu à vélo, j’ai remarqué, entre la Ferté-sous-Jouarre et Château, que la Marne (30 à 40 km de parcours environ) a plusieurs coins sympathique, notamment avant Mézy-sur-Marne. C’est un coin à revoir.
Mais revenons à ma pêche dans le Petit Morin. D’abord le mardi 10 avril.
Il fait un temps d’été superbe : ciel d’un bleu pur et soleil éclatant. C’est rudement bon l’été qui revient, et pour la première fois de l’année je suis le torse nu. Evidemment on est unanime à reconnaître que c’est une erreur de camouflage vis-à-vis du poisson, et je le sais bien mais je suis si content de sentir la caresse du soleil.
Je commence entre le moulin de Condetz et le bras presque mort, dans le Petit Morin. Je prends à la deuxième coulée un petit gardon que je remets à l’eau. Puis plus rien, mais je remarque pas mal d’ablette en surface : je vais pêcher à la fouette. Et sans changer ma ligne avec plume et plomb je commence à lancer. Très souvent j’opère ainsi car, le lancer fait, j’attends un moment en suivant la plume des yeux et souvent je peux ainsi surprendre un tressaillement et ferrer au lieu de tirer l’aveuglette et au hasard ainsi qu’on opère le plus souvent à la fouette.

Des ablettes viennent voir ce qui tombe et même parfois y donnent un coup de nez comme par jeu, mais visiblement elles sont rebutées par le ver de terre. Si seulement j’avais des asticots ! C’est toujours l’appât qu’on n’a pas qui est celui adéquat… La saison n’est pas assez avancés pour que je trouve des sauterelles et les quelques rares mouches que j’arrive, non sans peines, à attraper me son volées par des ablettes trop adroites. Quant au « vaseux » il ne tient pas à la fouette et n’a d’ailleurs pas beaucoup plus de succès que le terreau. Je prends ainsi quelques ablettes.
Puis je change de rive, et pêche surtout dans les Grands Calmes (qui sont cruellement déboisés et à peine reconnaissables, les pauvres !). Mais mon vélo, qui j’ai eu le tord d’amener, me gêne sur cette rive boisée. Bref, je ne prendrais que neuf poissons dans ma journée, plus ceux remis à l’eau.
Aujourd’hui, je vais tenter ma chance en Marne, cette Marne que j’avais assez négligée avec Jean, il y a deux ans.
D’abord à l’égout de l’Hôtel du Bec Fin où un jour j’attendis si longtemps, en vain, l’arrivée du flot des caniveaux de la ville qui donne, paraît-il, à cette place une densité remarquable de poissons plus ou moins mis en appétit par l’eau trouble qui s’écoule. C’est une hygiène discutable, mais…
Aujourd’hui non plus l’égout ne coule pas. J’y prends quatre jardons qui n’ont pas la taille légale mais que (Saint-Pierre, pardonne moi) je garde quand même, car je dois, même au prix de cette forfaiture, ramener une friture à Paris et mes maigres prises se conserveront bien jusqu’à après demain si je les vide au fur et à mesure.
Je décrète donc, la mort dans l’âme et le rouge de la honte au front de garder toutes mes prises, sauf celles vraiment trop minuscules.
Je descends la rivière jusqu’au Pont des Anglais où je prends la rive droite. Quelques bons coins mais ma gaule trop courte me force à m’avancer trop : effroi des poissons.
Cependant, caché derrière un arbre je prends en chevesne de 15 à 20 cm et quelques ablettes au ver.
L’après midi, je remonte à 3 ou 4 km en amont du vieux pont sur la rive droite où je prends quelques ablettes et un gardonneau au « vaseux » après une rude alerte, un serpent me filant littéralement entre les jambes. Le malheureux aura-t-il eu aussi peur que moi ?
Décidément je ne réussis guère à la Ferté ; total de la journée quinze poissons (et de quelles tailles, hélas !)
Aujourd’hui, treize avril (un vendredi treize, ça pourra expliquer une bredouille), dernière journée, ou plutôt demi-journée de pêche car après déjeuner je reprends la route pour Paris. Ferais-je un tableau honorable ?
Cette fois, je tente la rive droite, entre les deux ponts.
A l’égout, à proximité de l’école, je pêche en aval de celui-ci, le remous d’amont étant occupé par un confrère.
Hé ! hé ! Le dit confrère sort coup sur coup trois ou quatre belles perches (20 à 30 cm). Moi, je ne prends rien, canne trop courte.
Je descends un peu et le long du parc public je découvre de nombreuses belles places pour la volante… mais, là encore, ma canne se révèle trop courte pour les exploiter. Je ne sors qu’une ablette et un petit chevesne.
Honte sur moi ! Je garde ce dernier…
En traversant le Pont des Anglais, je repère plusieurs beaux poissons : chevesne et perches. Mais, méfiants dès qu’on se penche, ils sont en alerte. J’essaye pourtant de les tenter et je manque de peu un chevesne de 15 à 20 cm. Ma canne et ma bannière sont trop courtes.
Sur la rive gauche, entre le pont et le confluent de Morin, je sors une perchette de 20 cm environ et d’autres, plus belles s’enfuient à mon approche. Toujours la brièveté de ma gaule !
Je vais jusqu’au pont de Fer du Morin, puis je remonte vers le Vieux Pont et remarque à la hauteur des sapins du Monument des Anglais une bande de perches de toutes tailles plus nombreuses que je n’en ai jamais vue. Au moins 20 à 30 unités !
Naturellement, elles s’enfuient à mon arrivée. Il faudra que je revienne ici avec une gaule plus longue où une canne à lancer. Il doit y avoir à faire.
Bref, en trois journées de pêche une quarantaine seulement de poissons se sont laissé tenter par mes appâts. Quand à leur taille, sauf deux ou trois, mieux vaut ne pas en parler…
Evidemment, c’est loin d’être brillant mais je me suis bien amusé et surtout, j’ai été content de revoir ces coins où j’avais passé de si joyeux moments avec mon ami Jean. Il est en Allemagne, maintenant, déporté du travail. Pauvre vieux, le reverrais-je ?
Donc, malgré la maigre pêche, sortie agréable et profitable, car, en plus des souvenirs et des photos que j’en rapporte, je ramène aussi à Paris, plus prosaïquement des œufs, un lapin et un brie. Je pense à la chanson de Noël-Noël qui avait été à la chasse et qui conclue : « J’ai rapporté une tarte aux cerises… »
Je repars, après le déjeuner, et, après avoir passé, (encore un souvenir) devant l’hôtel où les Allemands m’avaient retenu quelques temps il y a deux ans. Je roule vers Paris… contre le vent, ce dernier ayant (naturellement !) tourné pour que je l’ai debout au retour comme à l’aller.
Et je commence la lutte. Sacré Eole…