Pendant que ma 4 CV joue les bolides sur la Nationale 7, je suis déjà, par la pensée, arrivé à Arbonne au seuil de la Forêt de Bière, cette vieille amie. Cette fois je la rejoins dans un but un peu différent que d’habitude. Ce n’est plus la seule randonnée qui m’attire, mais je vais débuter dans un sport nouveau pour moi : la varappe.
Tout le samedi je vais vadrouiller en solo et, le lendemain, vers 10 heures, j’ai rendez-vous avec l’école d’escalade du C.A.F (bien entendu, comme un ancien, je prononce « caff » et non « Club Alpin Français »). Je fais partie de cet organisme depuis peu et ce sera ma première séance de varappe.
La montagne qui m’a si bien conquis m’a dicté ma conduite : sans envisager de premières ni même de grandes courses acrobatiques, je veux être capable de la pénétrer mieux, c’est-à-dire plus haut. C’est pourquoi j’ai décidé de me familiariser avec la technique de l’alpinisme. « Bleau » est l’habituel et modeste terrain d’entrainement du C.A.F et j’espère y revenir souvent user les belles chaussures d’escalade qui gonflent mon sac d’un volume inhabituel.
A Arbonne, où j’arrive vers neuf heures, le premier bistro trouvé se charge du garage de ma voiture et de suite hop ! en route sac au dos…
Malgré les beaux jours de ce début de Mars, la forêt est encore hivernale et, de plus, aujourd’hui le ciel est couvert : je ne crois pas à la pluie pour tout de suite cependant et je suis bientôt tout à la joie de randonner dans ces paysages si sauvages de la forêt de Bière.
Après une courte traversée sylvestre, voici du rocher. Il s’agit du groupe des Sablons fort injurié par les carriers mais d’où l’on découvre une vue assez étendue vers le sud-ouest en particulier sur le Rocher de Cornebiche.
Je redescends pour escalader le mamelon voisin, Rocher des Hautes-Plaines, au sommet duquel je devine un endroit agréable pour camper. Je ne m’étais pas trompé, il y a un emplacement très bien parmi quelques pins juste au rebord du plateau avec une vue magnifique. De plus, détail que l’ergoteur de mauvaise foi appréciera, en cas d’accrochage avec un garde forestier le bornage tout proche peut permettre une controverse teintée de la sincérité du meilleur aloi.
Piquant vers le sud, je veux gagner le revers du plateau pour voir mieux Cornebiche et au-delà, la Plaine de Champfroid. Ici la platière apparait bosselée de moutonnements parfois profonds.
Tiens, voici une branche morte qui ressemble étonnamment à… Mais par Zeus ! Ça n’y ressemble pas seulement ! C’en est une… Une corne de cerf… et une belle ! Partiellement lavée par un séjour sans doute assez long aux intempéries c’est un superbe andouiller de dix cors qu’un des seigneurs de la forêt à laissé ici au moment de la mue.
Malgré son poids respectable, je n’hésite pas à la fixer sur mon sac tout fier de ce beau souvenir à ramener et à exhiber.
Un coup d’œil aux environs ne me permet pas de trouver le bois frère de celui-ci : il est vrai que les cerfs les perdent parfois à plusieurs jours d’intervalle.
Je suis maintenant la route de la Louve, sentier parfois à peine tracé qui serpente sur la platière, puis je l’abandonne pour longer le bord du Rocher de Milly d’où la vue est belle malgré la route trop rectiligne qui est là, en bas.
Laissant ensuite les rochers, je retrouve la forêt vers le nord, en direction de la Maison Forestière de l’Ermitage de Franchard.
Pour déjeuner, je m’arrête sous « l’Arche des Druides » surplomb qui me sera bien utile si le temps se met à la pluie car le ciel devient de plus en plus gris. Un feu discret flambe bientôt que je surveille puis éteins avec encore plus de minutie qu’à l’ordinaire car je viens de traverser une zone dévastée par le feu et bien faite pour inspirer la crainte de ce redoutable fléau.
Après mon repas, il ne pleut toujours pas malgré les précédentes menaces des nues : Zeus me protège visiblement.

Parce qu’à Bleau on appelle une route, c’est-à-dire un sentier sablonneux qui escalade une côte entre les rochers, je parviens à la mare aux Pigeons où j’étais passé il y a deux ou trois ans.
Chaque fois que je retrouve un témoin de mes vadrouilles passées, je ressens la même impression faite de plaisir pour les choses connues depuis, de regret devant cette fuite si rapide du temps et d’orgueil devant les difficultés vaincues dans l’intervalle. Cette fois encore je fais ce retour en arrière et me revois, campant avec le vieux Jean, toujours fidèle compagnon. C’était en hiver et nous discutions passionnément sur la question de savoir si l’on peut manger froid en camping en cette saison. Polémique infime me dira-t-on. Mais les purs n’attachent-ils pas justement de l’importance à tout ce qui touche à leur amour ? D’ailleurs les choses n’ont jamais que l’intérêt qu’on leur accorde et que de problèmes, qui passionnent les uns, laissent les autres indifférents pour la simple raison qu’ils ne les comprennent pas ou s’en désintéressent.
Au carrefour de l’Ermitage, je déguste à la maison forestière, un verre de pousse-au-crème pendant que le garde lui-même et d’autres seigneurs de moindre importance s’extasient sur l’andouiller que j’ai trouvé.
Je profite d’un petit cours de vènerie : les cerfs perdent leurs cornes tous les ans vers Mars et ils ne les retrouveront que 3 ou 4 mois plus tard, plus belles et plus grandes mais, au début, délicates « comme du velours ». Ma trouvaille est donc un bois de l’an dernier qui a passé près d’un an par terre : c’est un fait assez rare, renards et blaireaux ramassant très souvent ces cornes pour s’y faire les dents.
Après ces précisions, je me documente sur l’emplacement du rocher de la Cuisinière auprès duquel j’ai rendez-vous avec le C.A.F. et qu’il m’a été impossible de situer avec exactitude sur la carte. Je ne dois m’y trouver que demain vers 10 heures ½ mais je serais plus tranquille connaissant sa situation exacte car j’ai déjà tant de précédents de rendez-vous ratés que je ne me soucie pas d’en allonger la liste et je veux mettre toutes les chances d’arriver à l’heure de mon côté.
Quittant la maison forestière, je prends la route du Fourneau David vers les Gorges d’Apremont, encore de vieilles connaissances que j’aimerais revoir.
J’y arrive rapidement car ma longue halte à l’Ermitage m’a bien reposé et les kilomètres défilent sur cette route toute droite.
Le temps malheureusement toujours bouché est peu propice à la photographie : aussi je ne puis rien fixer des imposants amas de rochers qui donnent à cette région un aspect désolé et désertique où l’on se surprend à imaginer des scènes de Westerns. Je ne connaissais pas encore cette partie des gorges et ce n’est qu’un peu plus tard que je retrouve la région visitée il y a quelques années avec Jean également. C’était alors notre première vadrouille à Bleau et nous avions été frappés par l’aspect sauvage d’Apremont et ses proportions majestueuses. Aujourd’hui, connaissant mieux les paysages bellifontains, (je n’ose pas dire blasé par eux !), le spectacle me parait moins grandiose bien que très beau.
Je rencontre pas mal de promeneurs, campeurs, bivouaqueurs, cafistes et même un couple de touriste anglais venu en motocyclette jusqu’ici par une route sablonneuse pourtant peu propice à l’enmathieusage motorisé.
Je fais un crochet par la maison forestière de la Croix du Grand Veneur où je me réapprovisionne en eau pendant qu’une fois de plus la corne de cerf est admirée, palpée, estimée, soupesée. D’ici que je sois connu sous le nom du Cocu dans la Forêt, il n’y a pas loin. Douces joies de la popularité !
Je compte passer la nuit dans le Rocher du Long Boyau et pour m’y rendre je prends, ô horreur, une route goudronnée. Il faut dire à ma décharge que c’est ma première sortie depuis la pause nécessité par mon amygdalectomie (ça à plus de gueule que de dire « l’enlèvement de mes amygdales ! ») et le manque d’entrainement se fait sentir : je suis assez bien crevé aujourd’hui.
Voici le Long Boyau où je me promène un peu en longeant le sentier bleu et y découvre de nombreux surplombs intéressants à connaître par temps de pluie persistante.
L’un de ces abris est occupé par des bivouaqueurs avec lesquels j’échange quelques paroles. Assez pour qu’ils me mettent au courant de la chasse active actuellement menée par les gardes à ceux qui dressent leurs tentes hors des camps officiels. Ceci avec exemple à l’appui : 6 000 francs d’amende à un de leurs amis ! Disent-ils cela pour le seul plaisir de m’inquiéter ? Dans ce cas ils y arrivent très bien car je les quitte pas très rassuré il faut l’avouer.
Après une courte pause, où je me restaure un peu car j’ai les jambes de plus en plus molles, je cherche mon camp pour ce soir.
Sur un magnifique belvédère je découvre un emplacement très bien mais extrêmement en vue. Comme je suis encore impressionné par les discours des bivouaqueurs de tout à l’heure, je monte ma tente sans en dresser le mat et prépare ma provision de bois sans allumer mon feu de suite.
A la nuit tombante seulement je termine l’aménagement de ma tente, puis allume un feu aussi discret que possible pensant que l’on voit moins ces modestes flammes dans la nuit que de la fumée en plein jour.
A vrai dire payer 6 000 francs pour camper ici me parait un peu cher encore que l’endroit soit admirable. Si le ciel est un peu dégagé demain j’espère d’ailleurs réussir des photos « comme ça ».

Ma corne de cerf qui traine près du feu semble les reliefs d’un pantagruélique repos de campeur-chasseur et cela sonne une ambiance Saint-Hubert à la veillée.
Le lendemain matin ciel menaçant. Je démarre de bonne heure et rejoins le champ de tir que je longe par sa lisière sud après avoir un peu trainé dans le grand espace sablonneux qui joue au petit Sahara en son centre.
Dans les rochers de la Salamandre que je parcours, je perçois le ronflement d’un radius puis quelques voix étouffées. Je découvre alors une petite tente canadienne remarquablement camouflée sous un surplomb. Voici des gars qui ne seront sans doute pas repérés facilement par un garde !
Après une courte averse qui ne m’arrête évidemment pas, voilà un bûcheron qui va encore s’extasier devant ma corne-trophée dont la rumeur publique (authentique !) lui avait déjà signalés l’existence !
Puis c’est le carrefour de l’Ermitage d’où un joli chemin sableux va me conduire au groupe de rochers dit de la Cuisinière, mon lieu de rendez-vous avec le C.A.F.
Comme tout paraît désert je commence à sentir du lapin dans l’air. Je fouille l’endroit et perçoit enfin des voix. Peu disposé à leur attribuer une source surnaturelle comme fit l’autre bergère célèbre, je me dirige vers elles et je tombe sur mes gens.
Rassemblés sous un vaste surplomb la plupart casse la croute. Présentation. Extase devant ma corne de cerf. Récit de sa découverte. Etc.
Enfin la varappe commence !
Sous la conduite de moniteurs remarquablement aimables et patients, je m’exerce avec d’autres bizuths de mon espèce. La première tentative est peu brillante. Je reste en carafe sur une dalle avec la réconfortante impression que ce premier essai sera aussi le dernier et qu’après la chute inévitable et prochaine ma seule activité possible sera les mots croisés sur un lit d’hôpital. On me lance une corde secourable et je termine ce Rubicon avec l’élégance désinvolte d’un sac de pommes de terre que l’on hisse au palan. Mon amour-propre et mes côtes flottantes en souffrent quelques peu.
Mais le ciel se dégage et les rochers sèchent peu à peu et sont de plus en plus faciles à gravir. Quelques « Pures Lumières » daignent même m’honorer d’un ou deux compliments. Ceci me flatte au point de me faire oublier mes peu glorieux débuts sur la grande dalle.
A midi je suis un des rares qui mange chaud et seul à faire du feu. Les autres sont assez mathieux quant à la nourriture et aussi, hélas, quant aux papiers gras et boites de conserves dont ils jonchent le sol des environs avec une complaisante générosité.
Puis re-escalade pendant tout l’après-midi les genoux commencent à être douloureux et les bouts de doigts écorchés mais je m’amuse bien cependant. Les Pures Lumières montent avec une aisance de mouches se baladant à un plafond et tout est un jeu, ou le semble être, pour eux. On ne voit ou comprend les efforts nécessaires qu’en essayant soi-même.
Partout on entend parler doctoralement : « Ridicule, mon vieux, cette voie est trop humide ! » ; « Montez en « dulfer », voyons ! » ; « Et le « gratton », tu ne le vois pas ? » ; « Décollez-vous de la paroi, Mademoiselle, et les pieds en opposition, s’il vous plaît » ; « Ça mon gars : rien que de l’adhérence » ; « Mais pianotez, voyons, pianotez ! » ; « Vas-y, tu as un « bequet » plus haut » ; « Il n’y a que les « sortie » de « coton » avant, c’est « à vaches » ».
C’est assez amusant de voir de messieurs sérieux se promener avec un petit tapis sous le bras pour s’y essuyer les pieds avant de monter sur les rochers. Ou bien ce sont deux gars qui discutent âprement histoire de savoir si une voie se fait en partant du pied gauche ou du pied droit.
Malgré l’indiscutable côté mathieux, c’est assez sympathique dans l’ensemble.
Mais voici la première vague de départs. Restent ceux qui habitent Bleau ou les environs ou encore qui ont une voiture et sont les maitres de leur horaire.
Je quitte aussi les lieux et rejoins Arbonne où la 4 CV attendait patiemment son maître.
Après un rapide casse croute de mathieux sur la route, je rentre vers Paris.
Au carrefour du Bas Bréau, je m’arrête pour proposer à des campeurs de les charger vers la capitale.
Deux jeunes filles montent. Ce sont deux varappeuses dont l’une roupille presque immédiatement et l’autre, à la langue bien pendue me parle du C.A.F. dont elle fait partie, des réunions du jeudi, de l’ambiance agréable que l’on y trouve. Elle est assez sympathique : c’est Lou avec qui je recamperai par la suite.