Sur l’autoroute où la Citroën avale les kilomètres, j’appuis sur le champignon tant que je peux… L’aiguille de l’indicateur de vitesse reste cantonnée aux alentours de 110 et 120.
D’habitude je suis loin d’être un fanatique de la vitesse, mais aujourd’hui il ne s’agit pas de lambiner en route car la séance de pêche ne sera déjà pas trop longue. Pourrons-nous seulement pêcher ce matin ? Quant à l’après-midi, avec la nuit qui vient à 18 heures 30 !
J’ai rarement connu de virées halieutiques plus hésitantes à se décider que celle-là.
En effet, il y a trois jours profitant d’un voyage que je devais faire à Provins, j’avais décidé d’aller, avec mon ami Jean Blier, faire une séance de lancer en Haute Seine. Y avait-il assez longtemps que nous en rêvions de la Haute-Seine…
Le lendemain, hésitations : peut-être le voyage n’aura-t-il pas lieu. Conséquence : non partie de pêche dans le lac… Mais rien n’est encore sûr !
Hier matin, une lettre confirme nos espoirs : nous partirons !
Hier soir, le coup de téléphone treize fois maudit : voyage inutile. Nous restons ! C’est tin-tin pour le lancer en Haute Seine… Catastrophe !
Et Jean à qui j’ai donné rendez-vous demain matin à 8 heures ! A cette heure impossible de le toucher par téléphone. Je consulte des horaires que j’ai peiné à rassembler à ce moment (il set près de 21 heures et bien des bureaux de renseignements de gare sont fermés).
J’envisage trois itinéraires : Dreux, Compiègne et Montreau ; mais les heures des trains nous imposent des pêches très courtes. Tant pis : il faut savoir s’incliner devant les événements et demain matin, de concert avec Jean nous choisirons entre l’Eure, l’Oise ou la Seine.
In extrémis intervient alors une 4ème solution : nous allons à Vétheuil chercher du ravitaillement, il nous restera un peu de temps de libre et nous l’emploierons à pêcher. Va donc pour la Seine.
C’est ce qui explique que ce matin je suis dévoré par le démon de la vitesse et que je prends la route pour un autodrome : plus vite nous arriverons, plus vite nous aurons notre ravitaillement et plus de temps il nous restera pour communier au bord de l’eau.
Enfin nous voici à Mantes ! Vite pendant que mon père et moi sommes en quête de mangeaille (c’était bien de mangeaille qu’alors il s’agissait !) Jean va chercher des asticots. Heureusement et assez rapidement nous trouvons du ravitaillement ce qui fait que si la pêche est peu fructueuse nous ne seront pas bredouilles pour cela !
Encore 14 km à toute vapeur et c’est Vétheuil. Joie : nous avons encore 2 heures avant le déjeuner ! J’enfile ma culotte et mes bottes de pêche et en route pour le loueur de bateaux Marc.
Nous avons bientôt une barque à notre disposition. Que cela me change donc de ma canadienne si légère ! Vite nous montons et « à la recherche » !
Que la Seine est donc majestueuse dans sa parure automnale ! Car c’est bien l’automne et je ne l’ai encore senti comme aujourd’hui : les feuilles mortes, embarcations multiples, jonchent la rivière dont elles accusent les remous où elles se pressent.
De temps en temps un coup de vent déclenche une pluie de feuilles qui, parachutes mélancoliques, tombent de biais vers le courant qui les emporte vers l’aval mystérieux.
Parfois le rouge d’une vigne vierge tranche sur les ors des autres plantes. Parfois aussi, trompées par la douceur de cet automne, de jeunes pousses montrent leur verdeur mais leur optimisme sera démenti bientôt.
Malheureusement, le temps assez couvert, rend les photos difficiles. D’ailleurs le Kodak pourrait-il rendre la somptuosité des teintes automnales ? Mais nos yeux enregistrent, que ce que ma plume ne peut reproduire pas plus que la pellicule.
Quant aux résultats de la pêche ils ne sont pas mauvais : ablettes surtout, mais aussi quelques chevesnes (j’en fais un de 21 cm qui sera le record en poids de la matinée), spirlins, gardons et même une perchette qui sera vite remise à l’eau : trop petite.
Jean me bat, sinon en poids, du moins en nombre et de justesse : il totalise 12 poissons alors que je n’en ai que 11. Pour le poids, il me bat l’après-midi.
Mais il est midi et nous rentrons déjeuner à Chantemesle où nous pêcherons l’après-midi.
Le patron du restaurant nous prête une barque et en route !
Bonne embarcation : souple, légère. Nous prospections bientôt les rives et pendant que Jean monte sa ligne, je prends traitreusement un premier goujon.
Alors commence pour mon compagnon une série noire : avec une malchance que mes faibles talents de désaccrocheur aux longs bras ne peuvent enrayer, il laisse je ne sais combien de bas de lignes dans les branches, les racines, les feuilles. Que de fois j’entends dire :
« à l’abordage ! » « Je suis dans la rive ! »
Et cela ne va pas sans quelques tumultes.
Quant à moi, je m’accroche, certes, mais si peu souvent que Jean ne manque pas de rappeler le diction « Heureux au jeu, malheureux en amour ». Il se passe, d’après lui, des choses indubitablement regrettables pour mon honneur si elles sont profitables à mes bas de lignes. En moi-même je bénis l’infidèle (que j’ai baptisée Cunégonde !) de me valoir tant de veine, et, à chaque désaccrochage qui prouve une chance par trop scandaleuse, je ne manque pas de m’écrier :
« Merci, Cunégonde ! »
« Brave, Cunégonde ! » etc.
Quoiqu’il en soit, avec ou sans l’aide de Cunégonde, je suis, une fois de plus, battu par Jean. Et cela sur un « terrain » que je connais ayant pêché la Seine 1 ou 2 km en amont et cela très souvent.
Jusqu’ici, à Vétheuil, si Jean prenait du poisson j’en prenais au moins autant que lui, et, surtout, il prenait des poissons moins gros que les miens.
Mais aujourd’hui, cet après-midi, après avoir dépassé il s’est laissé rattraper surtout à la faveur de ses « casses » puis il m’a re-dépassé et maintenant il vient de prendre un chevesne d’environ 23cm qui vient à l’épuisette sans trop d’histoires. Je suis « enfoncé ».. !
Après avoir pêché le Petit Bras depuis Raoul jusqu’à son confluent aval avec le Moyen Bras, nous prospectons le-dit Moyen Bras que nous descendons sur 2 ou 300 mètres. Mais dans le Petit Bras comme dans le Moyen Bras que le paysage est donc joli à l’automne !
J’admire surtout le Moyen Brais (rive droite) où les « coins » intéressants se multiplient !
Mais la nuit nous contraint à rentrer et nous arrivons au ponton de Raoul à la nuit presque tombée et nous devons compter mes prises à la lueur du plafonnier de la voiture.
Je n’en ai que 26 et j’apprendrais quelques jours après que Jean en a 31, dont 3 ou 4 il est vrai, n’ont pas la taille légale. Il me bat donc, surtout pour le poids, grâce à son chevesne, et, ceci, malgré ses casses multiples ( 6 ou 7, je crois !).
Honneur au vainqueur !
D’ailleurs la beauté du paysage me fait oublier ma défaite.
Encore une fois : honneur au vainqueur : soyons sportif.