Ce matin, temps radieux : ciel bleu, vent nul, chaud soleil. Bon temps pour un concours de pêche…
Car je prends part à un concours : c’est la première fois et j’avoue que je suis un peu intimidé. Et, j’ai beau savoir que depuis deux jours que dure la Kermesse du pays toutes les manifestations ont débuté avec un retard minimum d’une heure, quand je sonne la demie de neuf heures (heure fixée pour la réunion des concurrents devant la mairie) je hâte le pas de crainte d’arriver en retard. Et naturellement, quand je débouche sur la place, je suis le seul, le premier groupe de pêcheur n’arrivera que dix minutes plus tard.
Bientôt, au contact des confrères, ma timidité s’atténue et je prends confiance.
Un concurrent annonce qu’il a prit « un bout de brignolet » et je me morigène de n’avoir pas pensé à emporter un peu de pain : avec ce temps une telle amorce aurait eu des chances de succès. Je manœuvre pour échanger quelques vers et asticots contre un morceau du susnommé brignolet qui ne me fera que peu d’usage par la suite.
Au bout d’un quart d’heure, on procède à la distribution des numéros pour désigner les places que chaque concurrent devra occuper, environ 4 à 5 mètres de rives par numéro. Je tire le « 15 » et cherche en vain à savoir où cela me situe. J’entends seulement dire : « de 1 à 12 c’est bon, après c’est moins bien… ». Est-ce vrai ou cherchent-ils à paraître bien renseignés ?
Vers 10h, nous nous ébranlons, en colonnes par trois, précédés du petit Perez, un gamin d’une douzaine d’années qui joue de l’accordéon, et, après un tour de place, en route vers la Seine…
Je pense à Maurice Génevoix qui, dans sa « boite à pêche » a si bien su décrire un concours de pêche, et à travers notre troupe et nos gestes, je cherche des réminiscences de la « boite à pêche ».
Nous arrivons au fleuve en conservant des prix de l’épreuve : 1er prix du plus grand poids total : un jeune sanglier de 25kg (hé !hé ! intéressant !) plus des bouteilles de vin et des lignes pour les six suivants. Il y a en plus deux prix spéciaux pour le plus grand nombre de poissons et pour la plus grosse capture.
Nous sommes quinze en tout, et comme il y a sept prix, j’ai une chance d’en avoir un, aussi je déplie avec minutie une fois installé devant la fiche n°15.
Ma place est assez sympathique et j’ai de la chance un assez grand fond (j’ai sondé environ 2h50) avec des nénuphars et un courant assez lent.
A 10h20 (au lieu de 10h comme prévu) retentit dans un silence quasi-religieux, le signal du commissaire « Jetez vos lignes… ». Je lance la mienne eschée d’un asticot. Je pêche le fond devant les nénuphars.
Pendant qu’à ma gauche le n°10 (mis à côté du n015 pour je ne sais plus quelle raison) sort, coup sur coup, (au ver de vase, paraît il) trois goujons, le n°13 ou 14, un gardon honorable, et que, plus loin, j’entends des exclamations comme « Ici, un », « j’en ai un », « encore un » et que les commissaires vont d’un bout à l’autre de notre front, je reste sans voir une touche.
Pourtant je m’amuse bien malgré ce début peu encourageant et le coup d’œil est amusant, en effet : une quinzaine de pêcheurs entassés sur ce petit bout de rives et surveillant leurs flotteurs avec une attention aigüe.
Je change mon asticot (resté intact et frétillant) pour une boulette de pain. Je pêche maintenant depuis 25 minutes environ sans résultat tangible : l’épreuve ne durant qu’une heure juste je n’ai pas grand espoir d’avoir un prix quand, comme pour me rappeler que j’ai de la chance, mon flotteur trésaille… puis s’enfonce lentement (j’ai une ligne sensible : merci, Monsieur Matout !)… je ferre… un gardon d’environ 14 cm qui m’assure contre la bredouille…
J’annonce d’une voix que je souhaiterais indifférente « Ici, un ! ». Personne ne m’a entendu, je crois, sauf mon voisin de droite qui admire aimablement ma prise pourtant peu importante.
Je répète « J’en ai un ! » et le commissaire me fait signe qu’il va venir.
Vite, je remets ma ligne à l’eau, ayant remis une boulette de pain. Puis, après dix minutes d’attente, je le change contre un asticot en diminuant mon fond et en m’approchant davantage des nénuphars.
Bientôt tressaillement… touche… ferrage… gardon… un peu plus gros que le premier, mais aurait-il été plus petit que je le gardais, ayant, aujourd’hui (et pour le concours seulement) fait abstraction de mes principes et décidé de garder toutes mes captures quelque soit leur taille.
Je prends ensuite un tout petit gardon (je rougis à avouer qu’il doit faire dans les 6 à 7 cm !) puis un chevesne minuscule (oh ! horreur, il est encore plus petit !).
Cependant le commissaire commence à m’admirer et me dit que j’ai une chance pour un prix ! Avec de telles prises !
Il paraît qu’actuellement le plus grand nombre est sept.
Je me prends à espérer obtenir un classement honorable et je me remémore la liste des prix mentalement.
A ma gauche, le concurrent appelé Lavigne prend un quatrième poisson, puis un cinquième…
A ma droite, c’est le numéro 13 qui pique un poisson assez beau (c’est peut-être une petite carpe ou un gros gardon) qui l’entraîne au large ; il le bride, le ramène vers le bord, mais ne sait éviter des herbes : casse. Dommage ce devait être une assez belle pièce : de la manière dont ça tirait…
A ma gauche, Lavigne sort un sixième poisson.
Moi, toujours rien. Je commence à craindre pour mon classement…
Tout à coup : touche à fond… je ferre… rien !!
Plus que dix minutes et le concours est fini… Je me mets à pêcher dans les nénuphars en changeant fréquemment de fond. Je m’accroche et me décroche deux ou trois fois ; puis j’ai une petite touche… la plume glisse… un coup de poignet … C’est un tout petit gardon.
Ça me fait maintenant cinq poissons en tout. En prendrais-je encore ?
Plus qu’une minute annonce un commissaire : je scrute ma plume avec attention et je suppose que chacun en fait autant (sauf un concurrent qui, bredouille, abandonne, il a précédemment raté deux gardons plutôt beaux d’une manière assez maladroite : il faut dire qu’il n’a pas pêché depuis six ans).
Puis c’est le signal : « Levez vos lignes : c’est fini ! »
Je plie, puis rejoins les autres concurrents qui se groupent sous les tilleuls en comparant leurs prises ; j’entends :
« Le record, c’est neuf poissons ! »
« Oui, mais, rien que des goujons… »
« Ça pèse le goujon ! »
« Bah ! rien que des petits… »
« Moi, j’en ai huit ! »
« Moi, cinq ! »
« Je n’en ai qu’un… »
« Faites voir votre gardon : je crois qu’il est plus gros que le mien… »
« Oh ! ils se valent ! »
Sauf un pêcheur local un peu exubérant et qui arbore à sa casquette la cocarde du concours, tout le monde est très « fair play » et sans nulle envie apparente.
Ma pêche, pourtant miteuse (5 poissons, dont 2 seulement de plus de 14 cm, en une heure !), excite pourtant quelques remarques admiratives : « Pas vilain ! », « Ça vaudra peut-être un prix ! »
Nous nous dirigeons de nouveau vers la place de la mairie où doit avoir lieu la pesée.
On apporte une balance et solennellement on procède à l’appel des concurrents :
« Lavigne… 6 poissons … 95 grammes ! … »
« Lemaire… 1 poisson … 10 grammes !… »
« Mathis… 4 poissons … 110 grammes !… »
« Van Leckwyck… 5 poissons … 105 grammes ! … »
Et comme je redescends du perron de la mairie, où se fait la pesée, j’entends dire derrière moi « Ça lui fera un prix… » Serait-ce vrai ?
Et c’est la remise des prix.
Un pêcheur du pays, assez sympathique mais dont j’ai oublié le nom, gagne le sanglier avec 210 grammes de poissons.
La canne à pêche va au concurrent au record des neuf goujons.
La mallette de pêche est pour le possesseur du gros gardon.
Le 3ème prix (le prix du plus gros poisson étant à part) va à Mathis qui cumule ayant le plus gros poisson.
Le 4ème prix est une bouteille de Bordeaux vieux.
Mais… le 4ème prix… c’est moi qu’on appelle !
Je monte chercher ma bouteille avec joie et orgueil.
Quand à nos fritures je propose qu’on les réunisse en une seule que l’on remettra à qui en voudra. On accepte, et c’est le pauvre pêcheur bredouille qui en bénéficie avec joie.
Je rentre alors à la maison, pourri d’orgueil…
En route, je rencontre un vague voisin que je ne fais que saluer habituellement. Il s’extasie poliment sur ma bouteille (à la réflexion le mot « s’extasier » me paraît exagéré…) Je me rengorge…
Et qu’importe si à la dégustation la bouteille baptisée « Bordeaux Vieux » se révélera une bibine peu respectable !…
Je suis le 4ème sur quinze…
Et j’ai un prix…
Quelle fierté …