29 Avril au 1er Mai 1950 – Yport et retour
Pendant le voyage Paris-Fécamp, la 4CV qui transporte les Patagons n’a essuyé qu’une seule averse. Il est juste de dire que celle-ci, ininterrompue, dure depuis le départ…
Mais en arrivant à destination, Zeus manifeste clairement sa décision de protéger la glorieuse phalange, car la pluie cesse brusquement.
Dans les calmes rues du petit port normand, on fait quelques emplettes de dernière heure. Puis la 4 CV repart sur Yport où il a été décidé qu’elle attendrait ses maîtres.
A Yport, quelques difficultés pour trouver un garage, mais finalement le Corbillard est casé et la randonnée pédestre commence.
Elle ne dure pas longtemps car, sur la falaise dominant le bourg, dès qu’ils découvrent un coin tranquille, les voyageurs s’occupent de régler la question du déjeuner. Sandwichs et fruits. Heureusement qu’il y a du vin pour relever un peu ce menu froid car le temps humide demanderait plutôt des nourritures réchauffantes. Mais, comme la raison d’état, la raison patagonne a d’implacables directives et il est trop tard pour perdre un temps précieux à fricoter un repas ou pour faire bombance dans un restaurant. En guise d’exhortation au stoïcisme, Jean place à ces coéquipiers sa phrase célèbre : « L’homme ne se nourrit pas seulement de pain, mais aussi de paysages. ».
Une fois la faim appaisée, les Trois reprennent la conquête des falaises du Pays de Caux.
Le temps bouché ne permet pas des vues très lointaines, mais ce n’est qu’un détail pour les trois amis qui rêvaient depuis si longtemps de cette escapade en commun au bord de la mer. Bernard est le seul a avoir déjà campé sur un littoral ce qui lui permet de prendre des airs protecteurs bien dans la note du « monsieur-qui-a-déjà-fait-ça-et-même-plus-dur ». Quant à Marcelle et Jean ils savourent à l’avance leur premier camp maritime.
Le haut de la falaise est classique de la région : prés et cultures sont les seules parures du terrain sur les parties dominantes et il n’y a guère que les valleuses qui abritent quelques arbres généralement chétifs. Le bord de la falaise se révèle brusquement en tombant à pic dans la mer d’une hauteur de soixante à quatre-vingt mètres. Et, malgré les débris guerrier du Mur de l’Atlantique (sur la Manche ?) qui subsistent par endroits, le paysage est assez sauvage par son aspect désert.
Le ciel se fait de plus en plus menaçant, et partout à l’entour on voit la pluie tomber. Les Patagons marchent dans un îlot de temps sec miraculeusement préservé, ce dont ils ne se font pas faute de louer le ciel.
Le terrain est vallonné et la marche est assez fatigante dans ces continuelles montagnes russes casse mollets qui forment les valleuses aux pentes très raides. C’est pourquoi, à l’occasion d’un chemin-escalier qui conduit à la plage du pied de falaise, les randonneurs descendent et font une courte halte pour explorer sans sacs la partie basse des falaises qui est ici curieusement burinée d’une multitude de trous. Quelles prises pour la varappe si tout ce gruyère n’était pas suintant d’humidité grasse… Des surplombs et même de petites cavernes sont remarqués.
Puis on remet les sacs et en route ! On verra au passage une valleuse où les terriers de lapins de garenne sont d’une densité peu ordinaire et insidieusement des idées de braconnage s’infiltrent dans des esprits impurs…
Voici la Valleuse du Curé où il y aurait un camp magnifique à faire mais il est encore trop tôt pour s’arrêter aussi doit-on repartir le cœur plein de regrets de ne pas séjourner dans ce cadre splendide.
Le terrain s’aplanit et la marche s’en trouve accélérée, aussi apparait bientôt cette merveille de la nature qu’est la porte d’Amont qui précède Etretat. Cette arche naturelle, creusée dans la marne blanche des falaises, entre dans la mer en formant la pointe d’un éperon qui marque la côte ici.
Déjà tout à l’heure, la troupe s’était extasiée sur une branche du rivage en forme de tour qui s’en isolait à une centaine de mètres, mais ceci est encore bien plus beau.
C’est ici qu’il faut camper et quiconque tenterait seulement d’émettre un avis différent serait immédiatement précipité à la mer par les Patagons pleins d’enthousiasme.
Bientôt les deux itisas dressent leurs silhouettes sur un soleil couchant, qui commence à résister honnêtement aux nuages, et le Radius de Bernard ronfle sous le diner. Heureusement qu’un réchaud a été emporté car le combustible naturel brille par son absence et les conseils glanés et précisant la nécessiter d’emporter un appareil de chauffage se trouvent absolument confirmés.
Jean fait une courte reconnaissance aux environs et revient ne pouvant sortir trois mots sans y mettre un superlatifs tant il est charmé par la grandeur de ce qu’il a vu plus bas. Evidemment l’endroit est aménagé avec escalier et rambardes ce qui le mathieuse un peu, mais sans ces ustensiles il serait presque inaccessible.
Le reste de la troupe se réserve pour demain de voir tout çà et bientôt tout le commando est couché.
Le lendemain matin, merveille des merveilles, le ciel est pur et le soleil brille.
Après quelques reconnaissances aux environs immédiats, les appareils fixent pour la postérité l’aspect de ce camp superbe. Puis on s’attaque à la préparation du petit déjeuner, et malgré le réchaud, on ne l’obtiendra pas sans peine car le gicleur bouché crachote abondamment avant de vouloir ronfler correctement. Puis, mais ceci n’est plus la seule faute du Radius, ces adroits cuisiniers, renversent la casserole deux fois de suite…
Les randonneurs lèvent ensuite le camp et, empruntant un passage souterrain qui perce la porte d’amont, ils suivront le pied des falaises pendant une courte marche sur Etretat.
C’est une petite station balnéaire assez sympathique où, après quelques achats, on peut voir les explorateurs du Pays de Caux occupés à siroter des apéritifs tout en rédigeant quelques cartes postales. Par hasard, Jean rencontre un collègue de bureau, mathieux endimanché comme il se doit. Considérations habituelles sur le camping : avantages, inconvénients. Opinions divergentes.
Après cet intermède philistin, les trois reprennent le chemin des falaises, puis, par une descente épique dans un sentier glissant et dont la pente moyenne doit être proche de la verticale (!), ils atteignent une plage déserte entre la Porte d’Aval et la Marneporte.
L’endroit est à cette heure prodigieux de grandeur, de tranquillité et de beauté. Une quantité impressionnante de superlatifs d’admiration y est consommée en un temps record.
Ce midi, déjeuner fin ; entre autres plats de raffinés : huitres, soupe au poisson, raie au beurre noir.
Ensuite pendant que Marcelle lézarde au soleil en frôlant la congestion, les deux autres se livrent aux joies de la pêche. Joies peu productives si l’on considère les résultats d’une manière objective. Le butin, une crevette, est dévoré sur place sans perdre de temps à une cuisson décrétée inutile.
Puis l’heure tourne ramenant les mathieux indésirables qui envahissent sournoisement les lieux par un couloir souterrain que la municipalité d’Etretat, visiblement vendue à la cause détestée des Philistins, a fait aménager pour les personnes que rebuterait le sentier de chèvres dont il est parlé plus haut. Quel dommage et aussi quelle criante iniquité que les Patagons n’aient pas le droit de défendre leur tranquillité et leur solitude par les armes ! Seule solution restante : le repli stratégique.
On escalade donc le sentier-échelle et la vadrouille reprend chassant le démon du camp fixe qui rodait là en-bas sur la petite plage.
Les mouettes sont nombreuses et, défiant le vertige, se perchent au rebord de la falaise. Quelques photos sont tentées sur ces sujets, mais, sans téléobjectif, on sait trop ce que donnent ces essais.
La promenade est encore mieux qu’hier et, de plus, le soleil est de la partie aujourd’hui.
Voici le cap d’Antifer qui s’annonce par son sémaphore après une valleuse où la descente sur la plage est si raide qu’elle se fait au long d’un filin disposé spécialement à cet effet…
Les environs du cap sont jonchés de débris guerriers (Bruneval est tout proche). Ici, les falaises changent d’aspect. C’est de la terre rougeâtre qui remplace, au moins dans la partie haute, la marne blanche rencontrée jusqu’à présent. Quant à la hauteur, elle atteint ici, au point culminant, plus de cent mètres. Et instinctivement on songe au plongeon que cela représenterait. « Un beau plouf » répète Bernard sur qui le vertige ne reste pas sans effet.
Il commence à se faire tard et la phalange patagonne cherche un lieu de camp. Une dépression dans un pré, à cent mètres du rebord de la côte en fournira un très tranquille où les lapins effrontés observent les campeurs du bord de leurs terriers. Ce soir, feu de bois, car les arbres sont proches entourant une ferme derrière un épaulement, et une expédition en ramène du combustible.
La nuit tombe après un très beau coucher de soleil.
Au matin Bernard s’est détaché pour aller au ravitaillement à la ferme. C’est une vaste et riche propriété où subsiste encore des souvenirs de l’occupation allemande : murs décoré de peintures soldatesques entres autres choses.
On roule les tentes, on dit au revoir à la mer et on aborde la partie de l’itinéraire qui va faire voir l’hinterland.
Après la traversée de la Poterie, où les Blier renouvellent leur provision de bonbons qui leur est si chère, un peu de parcours en plateau s’annonce. Mais très vite le terrain s’accidente et le chemin est très pittoresque par des sentiers creux et des vallonnements boisés.
Le groupe commence à trainer la jambe et après qu’une paysanne particulièrement aimable aura renouvelé le plein d’eau, on cherche un endroit convenable pour la halte-déjeuner.
A l’entrée du Bois des Loges, les Patagons seront très bien. Dommage que Marcelle ait si peu d’appétit, d’autant plus qu’elle finirait par faire croire que les autres n’ont pas des talents de cuisiniers remarquables.
A la fin du repas, le soleil se couche et on ne le regrettera pas trop car Marcelle s’obstine à conserver pull-over sinon cache-nez et l’apoplexie la guette. L’un ou l’autre devait céder : heureusement c’est Phébus le moins entêté.
La suite de la randonnée se fait dans un bois de taillis où on rencontre beaucoup de bouleaux et qui n’est pas sans ressembler à certains coins des Vaux de Cernay avec la tranquillité en plus, car les Vaux de Cernay un 1er Mai ce doit être quelque chose d’assez pénible.
Puis, après une orientation un peu délicate, la troupe quitte le creux du Bois des Loges pour rattraper la route qui va la ramener sur Yport.
Ce sont à nouveau les cultures et pacages du plateau : peu d’intérêt après les jolis paysages précédents.
L’allure ralentit car Marcelle a le coup de pompe et en profite pour faire la tête, ce dont Jean prend son parti avec un stoïcisme qui force l’admiration.
Après diverses tergiversations, on décide que Bernard se détachera seul pour chercher la 4 CV encore lointaine.
Après une route sans incident et une jolie arrivée sur Yport pour récompenser d’une certaine monotonie précédente, la petite Renault est retrouvée et bondit sur la goudronnée. A son passage Jean bondit du fossé où il attendait avec sa femme, mais il a compté sans la traitrise du conducteur qui fait mine de ne l’avoir pas remarqué et qui disparait derrière un virage. Ce n’est qu’après avoir ainsi satisfait son besoin naturel de taquinerie que le perfide Bernard fera demi-tour pour rejoindre ses amis.
Les Patagons chargent la voiture et c’est de nouveau la route en motorisés.
Mission terminée : le commando a reconnu le Pays de Caux